Le sommet Afrique-France tourne une page
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Le président reçoit jeudi 15 et vendredi 16 février à Cannes une quarantaine de chefs d'État africains. Une politique entre héritage de la «Françafrique» et engagement pour le développement
«La Françafrique, ça n'existe plus.» La sentence du conseiller élyséen tombe, sans hésitation. Le néologisme – désignant les relations incestueuses entre les pouvoirs hexagonaux et les potentats africains – est prononcé. Mais c'est pour annoncer qu'il est périmé.
Pourtant, l'un des rituels les plus emblématiques et les plus décriés du lien entre la France et le continent noir, le « sommet Afrique-France », se tiendra jeudi 15 et vendredi 16 février à Cannes. Ses participants – une quarantaine de chefs d'État et de gouvernement, sans compter Jacques Chirac – devraient choisir le pays hôte de leur prochaine rencontre en 2009, probablement l'Égypte.
Autant dire que dans les cercles du pouvoir, à Paris comme sur le continent, on n'imagine pas que le futur président français renonce au rendez-vous institué par Georges Pompidou. D'ailleurs, aucun des principaux candidats à l'élection présidentielle ne s'y est à ce jour risqué.
Le refus de venir de Mbeki a tout du camouflet
Ce qui devait être le dernier sommet du président Chirac, en décembre 2005 à Bamako (Mali), n'avait pas eu la tonalité d'un adieu. En fait, l'actuel président n'a pas hésité à avancer de plusieurs mois l'échéance normale, fin 2007, pour réunir une dernière fois ses homologues africains. Ou du moins ceux qui acceptent de jouer le jeu.
L'absence du Sénégalais Abdoulaye Wade est tout excusée, puisqu'il sollicite un nouveau mandat dans dix jours. Celle du Rwandais Paul Kagamé était inévitable depuis qu'il a rompu les relations diplomatiques avec la France à l'automne dernier. Celle de Laurent Gbagbo est sans surprise, étant donné le contentieux lié à la crise ivoirienne.
En revanche, la justification avancée par le Sud-Africain Thabo Mbeki a tout du camouflet. Son porte-parole, Mukoni Ratshitanga, a expliqué que la réunion du comité exécutif de son parti, le Congrès national africain (ANC), était « plus importante que d'aller en France ». On soupçonne que ce soit la non-invitation, à la demande de la Grande-Bretagne, d'un chef d'État sulfureux, Robert Mugabe, président du Zimbabwe, qui ait en fait entraîné cette absence de poids.
Douze ans après son élection, Jacques Chirac va, une fois encore, exalter les atouts d'un continent qu'il juge négligé par le reste du monde et dont il s'est toujours vu comme l'avocat. Mais quelle est la place de la France vis-à-vis de son ancien pré carré ? « L'Afrique s'est mondialisée très rapidement et le terrain perdu par la France n'a pas été pris par l'Europe mais par les États-Unis et surtout la Chine », estime l'anthropologue Jean-Pierre Dozon (1).
La Côte d'Ivoire, dossier africain le plus crucial de Chirac
À n'en pas douter, la Côte d'Ivoire aura été le dossier africain le plus crucial de la présidence Chirac. Commencée en septembre 2002 comme une « classique » évacuation des ressortissants étrangers, l'intervention française s'est muée en force d'interposition puis en force de réaction rapide sous mandat onusien.
Sous l'impulsion de Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, Paris s'est impliqué de manière inédite dans la recherche d'une solution pacifique, notamment en organisant les négociations de Marcoussis, début 2003.
Mais l'évacuation, à la fin 2005, de 8 000 ressortissants français, conduisant pour la première fois à la réactivation de la loi de 1961 sur les rapatriés, a tourné une page des relations franco-africaines. Le futur président héritera d'une crise enlisée et devra décider du maintien ou du retrait – partiel ou total – de l'opération Licorne, forte de 3 500 hommes et coûtant 250 millions d'euros par an.
Toujours au chapitre militaire, les mandats de Jacques Chirac auront été ceux d'une « réorganisation » de la présence militaire française en Afrique, marquée par la fermeture annoncée de la base d'Abidjan. Désormais focalisée sur le programme Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix), visant à rendre plus autonomes les armées africaines en cas de crise, la présence militaire française reste substantielle.
L'obsession de la « stabilité » a un coût
Et Jacques Chirac n'aura pas hésité à y recourir, sans consultation du Parlement, par exemple lors de deux opérations européennes en République démocratique du Congo (RDC), en 2003 et 2006, ou plus récemment en secourant les gouvernements centrafricain et tchadien contre des groupes rebelles les menaçant.
Problème, ces régimes « amis », à l'image du Congo, du Gabon, du Cameroun ou du Tchad, sont des dictatures dont le vernis démocratique est très fin. « Ce sont des régimes reconnus par tous et la stabilité des pays a un prix, rétorque-t-on à l'Élysée. Le président Chirac est le seul à pouvoir dire certaines choses à Omar Bongo ou à Denis Sassou Nguesso. »
L'obsession de la « stabilité » a un coût : après bientôt quarante années de régime Bongo, un pays comme le Gabon, qui a tiré des dizaines de milliards de dollars de sa production pétrolière en quelques décennies, est toujours 124e sur 177 à l'aune de l'indicateur de développement humain des Nations unies.
Et, au Gabon comme ailleurs en Afrique, l'ancienne puissance coloniale est plus que jamais décriée par la jeune génération. «Une ère est en train de se clore. J'ai le sentiment que la France n'est pas parvenue à maintenir ce qui pouvait être sauvé de sa politique passée», conclut Jean-Pierre Dozon.
Laurent d'ERSU
(1) Auteur de Frères et sujets. La France et l'Afrique en perspective (Flammarion, 2003).
Jeudi 15 Février 2007
La Croix