"La stratégie africaine de la Chine" , article paru dans Le Matin du
Maroc, le 8 cotobre 2006

Depuis la Conférence de Berlin en 1883, que le roi Léopold II de
Belgique avait surnommé « conférence pour le partage du gâteau
africain », l'Occident estime avoir un droit exclusif sur l'Afrique
sub-saharienne.

Mais alors que des siècles de lutte pour mettre fin au colonialisme
et à l'apartheid n'ont pas changé grand-chose, l'influence
occidentale se trouve maintenant menacée par la Chine qui convoite à
son tour les réserves minières et les richesses que recèle cet
immense continent. La Chine parvient à se faire accepter à travers
l'Afrique en jouant d'un ressentiment commun à l'égard de l'ère
coloniale et, aussi, en faisant preuve de considération.

C'est ainsi que les dirigeants chinois rencontreront 46 chefs d'Etat
africains lors du prochain Forum de coopération Chine-Afrique (CACF)
qui aura lieu avant la fin de l'année et qui est destiné à
promouvoir échanges commerciaux et investissements. Quant au
président chinois Hu Jintao, le vice-président Zeng Quinghong et au
Premier ministre Wen Jiaboa, ils prennent soin de se rendre
fréquemment en Afrique.

La Chine renforce ses liens avec l'Afrique pour trois raisons :
sécuriser son approvisionnement en pétrole et en ressources
minières, réduire l'influence de Taiwan (six des 26 pays qui
entretiennent des relations diplomatiques avec le gouvernement de
Taipeh sont africains) et accroître son influence grandissante sur
la scène internationale.

La Chine a investi des milliards de dollars en Afrique dans les
secteurs du pétrole, des mines, des transports, de l'électricité et
des télécommunications, ainsi que dans différentes infrastructures.
Rien qu'en 2004, sur un total de 15 milliards de dollars
d'investissements directs en provenance de l'étranger, la part de la
Chine s'élevait à 900 millions.

Les Chinois ont déboursé près de 2,3 milliards de dollars pour
acquérir 45 % de participation dans l'un des champs pétroliers
offshore du Nigeria et elle a promis d'investir 2,25 milliards
supplémentaires pour développer les réserves. L'Angola qui exporte
40% de sa production de pétrole vers la Chine a bénéficié d'un prêt
de 2 milliards de dollars en échange d'un contrat prévoyant la
livraison quotidienne de 10.000 barils de pétrole.

Le Soudan - pays qui fournit 7% des importations pétrolières de la
Chine - bénéficie de la plus grande part des investissements
chinois. La China National Petroleum Corporation détient 40% des
parts de la Greater Nile Petroleum Company et elle a investi 3
milliards de dollars dans la construction d'une raffinerie et d'un
pipeline.

Quelque 4.000 soldats de l'Armée populaire de libération sont
déployés au sud du Soudan pour protéger le pipeline. Les données
concernant les échanges commerciaux traduisent également une
influence croissante. Les échanges sino-africains ont été multipliés
par sept dans les années 1990, ils ont doublé entre 2000 et 2003,
atteignant 18,5 milliards de dollars, et ils ont franchi les 32,2
milliards lors des 10 premiers mois de 2005.

Tandis que les échanges commerciaux et les investissements chinois
ont favorisé la croissance économique du continent, qui a atteint le
taux record de 5,2% en 2005, la Chine a annulé pour 10 milliards de
dollars de dettes bilatérales qui lui étaient dus par les pays
africains.

Mais ce rapprochement a suscité de grandes controverses. Les pays
africains sont devenus les premiers acheteurs d'armes et
d'équipements militaires chinois. Dans un continent aussi instable,
regorgeant déjà de matériel de guerre, l'arrivée d'armes
supplémentaires n'est pas vraiment souhaitable.

Mais, comme l'a dit le ministre des Affaires étrangères chinois,
Zhou Wenzhong, « les affaires sont les affaires et la Chine ne
mélange pas les affaires et la politique ». Le soutien de la Chine
aux régimes autoritaires d'Afrique est, à long terme, encore plus
inquiétant. Car la croissance économique sans la justice sociale ne
fait qu'entériner les conditions de vie misérables de la majorité
des Africains, au bénéfice d'une petite minorité de riches.

En une décennie, la Chine a modifié l'équilibre des pouvoirs en
Afrique, menaçant la première place de la France en tant que
principal partenaire économique et commercial du continent,
reléguant les Etats-Unis à la troisième place et le Royaume-Uni à la
quatrième, ce qui suscite l'irritation de ces « grands ». La France
a renforcé la surveillance des agissements de la Chine en Afrique
tandis que, soucieux de resserrer les liens de l'Europe avec ce
continent, le Premier ministre britannique Tony Blair a même proposé
de supprimer les subventions agricoles qui sont distribuées par
l'Union européenne dans le cadre de la politique agricole commune.

L'Afrique est le point du monde où des puissances extérieures sont
en concurrence pour l'accès aux ressources minières sans recourir à
des moyens militaires. Mais la dernière chose dont l'Afrique a
besoin est de se transformer en champ de bataille d'une guerre
économique. Ainsi que les Africains l'ont appris par l'expérience,
les Etats n'ont pas d'amis, seulement des intérêts. Le conflit
enlisé du Darfour illustre le problème. La Chine dit ne pas vouloir
s'y ingérer, mais son intérêt pour le pétrole soudanais fait qu'il
en va tout autrement.

Pékin menace d'opposer son veto à toute résolution du Conseil de
sécurité qui imposerait des sanctions contre le gouvernement
soudanais dont les troupes et les milices sont responsables de
génocide à l'égard des citoyens noirs du Soudan. Ces forces
utilisent des hélicoptères de combat chinois qui sont basés sur des
pistes entretenues par les compagnies pétrolières chinoises. En
attendant que la Chine finisse par réaliser que ses intérêts
économiques en Afrique sont liés au développement politique du
continent, de telles horreurs vont continuer. L'économie africaine
va peut-être se développer, mais les Africains vont continuer à
souffrir.

(*) Sanou Mbaye est un économiste sénégalais et l'un des anciens
dirigeants de la Banque africaine pour le développement. Copyright :
Project Syndicate, 2006. wwwprojectsyndicate.org

Par Sanou Mbaye (*)